Billet d'humeur du PDG
28 août 2020

Les fonds de notre caisse de retraite sont-ils vraiment bien gérés? 
Par Charles Simard, CRIA, président-directeur général

Depuis bientôt quatre ans que je siège au Comité de retraite du Régime de retraite du personnel d’encadrement (RRPE). Le comité de retraite est constitué par la Loi sur le régime de retraite du personnel d’encadrement. Il a notamment comme mandat d’établir, conjointement avec la Caisse de dépôt et placement du Québec (la Caisse), une politique de placement à l’égard des fonds provenant des cotisations des participants.
 
Ainsi, c’est la Caisse qui gère nos actifs se chiffrant à environ 9G$. Au total, l’ensemble des déposants (régimes de retraite et régimes d’assurance étatiques principalement) confient un total de 333G$ à la Caisse. Ce n’est pas notre choix, c’est la loi qui nous l’impose. Le choix que nous avons, c’est d’adopter la politique de placement qui, de notre avis, sur recommandation de la Caisse, correspond le mieux à nos objectifs de placement.
 
J’ai eu le privilège de rencontrer quelques fois les PDG de la Caisse, soit Michael Sabia jusqu’à la fin de 2019, puis Charles Émond qui lui a succédé. Depuis quelques années, la Caisse, après que les marchés aient connu de longues années de rendements parfois exceptionnels depuis la crise 2008, s’est placée en mode résilience. D’ailleurs, dans le rapport de 2019 on pouvait lire : « En 2019, la catégorie des actions a généré un rendement de 15,3 %, comparativement à 16,3 % pour l’indice, se traduisant par des résultats de placement de 22,2 G$. Dans le contexte de forte progression des marchés, le portefeuille de marchés boursiers a enregistré un rendement de 17,2 %. Cette performance, quoique moins élevée que celle de l’indice, concorde avec la stratégie de la Caisse. Fondée sur la construction d’un portefeuille résilient à long terme, la stratégie vise à en réduire la sensibilité aux mouvements de marché à la baisse, ce qui limite partiellement l’amplitude de sa réaction pendant les mouvements à la hausse. » (Nos soulignements)
 
Donc, en 2019, notre portefeuille (tout comme les autres gérés par la Caisse) a obtenu des rendements moindres que les indices afin de nous protéger contre un éventuel marché baissier. Pour cette année-là, le rendement de notre portefeuille a été de 120M$ inférieur à celui de l’indice. Mais c’était pour la bonne cause, celle de nous protéger en cas de marché baissier. Et marché baissier il y a eu, au premier semestre de 2020, résultat de la pandémie. Or, notre politique nous a surement protégés vous dites-vous? Eh bien non. La stratégie a échoué. Lamentablement. Pour le 1er semestre de 2020, le rendement de notre fonds a été inférieur de 263M$ à celui de l’indice. Ce sont donc près de 400M$ que nous n’avons pas dans notre caisse de retraite à cause d’une politique qui n’a pas livré la marchandise.
 
La Caisse et les centres commerciaux

La Caisse, de par son bras immobilier Ivanohé Cambridge, est un très gros joueur de l’immobilier. Un leader mondial de l’immobilier selon leur propre prétention. Or, comment se fait-il qu’à ce titre, ils n’ont pas vu venir la crise des centres commerciaux? La faillite de Sears et la croissance soutenue des achats en ligne nous permettaient, nous, simples citoyens, de voir venir cette vague. Où étaient nos experts à ce moment? Quelle lecture faisaient-ils de la situation? De semestre en semestre, nous ne cessons de dévaluer le portefeuille immobilier. Évidemment, la crise sanitaire n’est venue qu’accélérer les choses. Une nouvelle équipe de direction a été mise en place, mais les attentes sont grandes.
 
La Caisse et le GAFAM
J’ai personnellement interrogé Michael Sabia il y a deux ans sur les investissements de la Caisse dans les entreprises de la nouvelle économie numérique. On n’y accordait peu de crédibilité à ce moment-là… pas plus qu’au moment de la crise de la COVID-19. Résultat : notre portefeuille d’action a perdu 5% dans les six premiers mois de l’année, alors que le GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) a fait un rendement positif de plus de 31%... mais notre portefeuille ne comporte que 2% de ces titres, alors que l’indice en compte 20%.
 
La Caisse et le Cirque du Soleil
Même si l’investissement de la Caisse dans le Cirque du Soleil représentait moins de 0,1% de son portefeuille global, il n’en reste pas moins que d’importantes questions demeurent sans réponses dans cette saga qui a englouti 228M$, dont 100M$ quelques jours avant que le Cirque ne connaisse la débandade spectaculaire dont nous avons été témoins.
 
La Caisse et la Cimenterie McInnis
Dernier sujet délicat pour la Caisse : cet investissement commandé par le pouvoir politique dans une usine devenue le plus grand émetteur de gaz à effet de serre au Québec. Ce projet devait créer 400 emplois : au final il ne s’en créera qu’environ 150. Et aujourd’hui la Caisse investisseur est devenue la Caisse opérateur. Tellement un bon investissement que personne ne veut l’acheter aujourd’hui.

Tout n’est pas si noir
Ce portrait vise à vous sensibiliser sur la gestion de nos fonds de retraite par la Caisse. La Caisse a fait de très bons coups depuis sa création et elle en fait encore. Cependant, elle semble avoir plus de difficulté à naviguer en eaux troubles. Ce fut le cas lors de la crise de 2008 (rendement négatif de 25%) et c’est encore le cas dans cette crise sanitaire. Si, après la crise de 2008, elle a su rebondir solidement, espérons que ce sera encore le cas cette fois-ci. Mais la barre est placée haute, surtout quand nous partons loin de la position de tête.
 
En conclusion
La Caisse joue dans les ligues majeures avec son actif net de 333G$. Est-elle devenue trop grosse? Avons-nous réellement la bonne équipe pour la diriger? Doit-on la dépolitiser? Devrait-on pouvoir gérer une partie de nos fonds par d’autres gestionnaires? Toutes des questions qui se valent.